Centré sur le pôle Nord géographique, l’océan Arctique ou océan glacial Arctique, recouvert en grande partie par la banquise, est un bassin océanique entouré de masses continentales qui constitue l’essentiel de la région arctique proprement dite, à la différence de l’Antarctique, qui lui, correspond à un continent à part entière, baigné par l’océan Austral.
Physiographie :
Avec une superficie d’environ 14 millions de kilomètres carrés, l’océan Arctique représente le plus petit océan de la planète. Il est aussi parmi ceux ayant été les moins explorés du fait qu’il est (ou était...) recouvert de glace durant une majeure partie de l’année, en même temps qu’il y règne des conditions météorologiques particulièrement difficiles. Il se compose d’une part du bassin océanique arctique et d’autre part de mers annexes, en général
- Topographie et bathymétrie de la région arctique
- Source : Hugo Ahlenius, UNEP/GRID-Arendal
peu profondes, qui en sont des dépendances et qui correspondent plus précisément à l’ensemble des mers bordières localisées en majorité au nord du cercle polaire, par-delà les côtes septentrionales de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique du Nord. Selon l’Organisation hydrographique internationale, il s’agit d’ouest en est de la mer du Groenland, de la mer de Norvège (mers scandinaves qui toutes deux sont considérées comme devant être rattachées à l’océan Arctique et non à la région tout à fait septentrionale de l’Atlantique Nord), de la mer de Barents, de la mer Blanche, de la mer de Kara, de la mer de Laptev (ou des Laptev), de la mer de Sibérie orientale, de la mer des Tchouktches, de la mer de Beaufort, des Passages du Nord-Ouest, de la mer ou baie de Baffin et du détroit de Davis, du détroit et de la baie d’Hudson (pourtant situés en dehors de la zone circumpolaire), de la mer de Lincoln et enfin de la mer de Wandel, connue aussi sous le nom de mer de McKinley et située au nord-est du Groenland.
Sur le plan bathymétrique, la profondeur moyenne de l’océan Arctique est d’environ 1 000 mètres mais localement, les fonds marins atteignent plus de 5 000 mètres (de l’ordre de 5 500 mètres au niveau de la dorsale de Gakkel notamment). Le bassin océanique arctique apparaît constitué de deux bassins principaux, eurasien et amérasien, séparés par la dorsale ou chaîne de Lomonossov dont le tracé relie sur plus de
- Carte bathymétrique des fonds marins de l’Arctique
- Bathymétrie (indiquée en mètres) et dénomination des bassins, dorsales et plateformes. Les profondeurs les plus importantes concernent le bassin eurasien et peuvent dépasser 5 000 m au niveau de la dorsale océanique de Gakkel.
Source : d’après le fonds cartographique de l’IBCAO (International Bathymetric Chart of the Arctic Ocean]
1 800 kilomètres le Nord du Groenland aux îles de Nouvelle-Sibérie, en passant à proximité du pôle géographique. Cette structure correspond davantage à un fragment continental effondré et non à une dorsale océanique véritable au droit de laquelle se serait formée ou se formerait encore de la croûte océanique. D’une largeur de plusieurs dizaines de kilomètres, elle culmine à une altitude de 3 700 mètres au-dessus du fond marin et la profondeur minimale à son sommet est de l’ordre de 950 mètres. Ayant fait l’objet de diverses campagnes océanographiques, c’est surtout le sous-marin américain Hawkbill qui permit en 1999 d’en préciser la cartographie [2] et de mettre en évidence une forte érosion de ses crêtes, prouvant qu’il a dû exister par le passé des périodes où une importante calotte polaire recouvrait l’ensemble du bassin arctique, en l’occurrence durant l’une ou l’autre des grandes glaciations du Plio-Quaternaire. Le bassin eurasien (ou eurasiatique) est lui-même subdivisé en deux "sous-bassins", d’Amundsen et de Nansen, séparés par la dorsale de Gakkel, dont l’activité sismique [3] et les manifestations hydrothermales laissent supposer qu’elle pourrait matérialiser le prolongement vers le nord de la dorsale océanique médio-atlantique. Le bassin amérasien est subdivisé lui aussi en deux sous-bassins, bassin de Marakov et bassin canadien, séparés par la chaîne Mendeleïev ou chaîne Alpha (du côté canadien), asismique. Au nord de l’Eurasie, un vaste plateau continental occupé par des mers bordières peu profondes (de la mer de Barents à la mer des Tchouktches) s’étend jusqu’à environ 1 300 km des côtes, d’où émergent les îles de l’archipel du Svalbard, de Nouvelle-Zemble, de la Terre du Nord ou encore de l’archipel de Nouvelle-Sibérie [4]. A l’opposé, la multitude d’îles de l’archipel arctique canadien sont séparées par un réseau de chenaux étroits et profonds, surcreusés par l’érosion glaciaire.
Circulation océanique :
- La circulation océanique au niveau des mers scandinaves et des bassins subpolaires
- Tracés des courants profonds (courbes en pointillés) et de surface (courbes continues) de l’Atlantique Nord, des mers scandinaves (d’Islande, de Norvège et du Groenland) et des mers du Labrador et de Baffin. Les couleurs donnent une indication approximative des températures.
Source : R. Curry and C. Mauritzen (2005) sur ResearchGate (accès libre)
Enserré presque entièrement par les deux continents américain et eurasiatique, l’océan Arctique ne communique principalement avec les océans Atlantique et Pacifique que par les détroits de Fram (qui sépare le Groenland du Svalbard) et de Béring (situé entre l’Alaska et la Sibérie orientale). Ce dernier constituant un seuil profond tout au plus d’une cinquantaine de mètres, il n’autorise pas d’échanges importants, au contraire du premier dont la profondeur atteint près de 700 mètres, permettant des transferts de masses d’eau assez considérables avec la mer du Groenland, la circulation entre l’Atlantique et le bassin arctique intervenant également au travers de la mer de Barents. De ce fait, le flux d’origine pacifique n’excède pas 20 % des eaux arctiques, alors que la composante d’origine atlantique est nettement plus importante. Elle représenterait à elle seule environ 7,5 millions de mètres cubes par seconde, sachant que l’équivalent en sort de façon synchrone mais en empruntant d’autres chemins. Cette eau de l’Atlantique n’est pas la seule à entrer dans le bassin arctique étant donné les apports d’eau douce en provenance notamment des rivières débouchant au niveau des mers bordières, de la fonte des neiges et des glaces continentales, ainsi que des précipitations atmosphériques. Il en sort autant là encore, sous forme liquide ou solide (par l’intermédiaire d’icebergs notamment), essentiellement au niveau des détroits de Fram et de Davis. Par conséquent, les eaux du bassin arctique sont en permanence renouvelées, l’eau y entrant étant salée, celle qui en ressort l’étant un peu moins du fait de la dilution engendrée par les flux en eau douce.
- Principaux courants marins (profonds et de surface) au sein de l’océan Arctique
- Les flèches larges (en violet) traduisent la circulation profonde, les traits plus fins (en bleu) les courants de surface, dont la dérive transpolaire et le courant du Groenland oriental.
Source : SCEREN-CRDP Acad. Paris (d’après Jean-Louis Etienne)
Ainsi, sur le plan de la circulation océanique, l’océan Arctique constitue en quelque sorte le "cul de sac" de l’Atlantique dont il représenterait le prolongement vers le nord. La vaste ouverture existant entre le Groenland et le Spitzberg (île la plus grande de l’archipel du Svalbard) forme le principal couloir de communication, siège d’échanges de masses d’eau intenses tant en surface qu’en profondeur. Si l’eau pénètre effectivement mais faiblement par le détroit de Béring (poussée par le courant giratoire de la mer de Béring), du côté de l’Atlantique en revanche, la branche du puissant courant nord atlantique [5], qui longe les côtes de Norvège, permet des entrées d’eau conséquentes. Les sorties se font principalement en profondeur, via la mer de Norvège, mais aussi en surface par le biais des courants du Groenland (courant de la côte est du Groenland dit courant du Groenland oriental) et du Labrador (lui-même étant alimenté, du moins pour partie, par le courant du Groenland occidental [6]), alors que pratiquement rien ne ressort du côté pacifique, au niveau du détroit de Béring. L’essentiel des eaux venues de l’Atlantique finit donc par y retourner et ce brassage génère des échanges de chaleur intervenant dans le contrôle du climat de l’hémisphère Nord, l’océan Arctique jouant manifestement un rôle majeur dans la circulation générale océanique.
Dans le détail, les eaux atlantiques, plus salées et donc plus denses mais cependant moins froides, plongent sous les eaux polaires du bassin arctique. Ces eaux entrantes pénètrent sous deux formes : (1) une couche moyenne (jusqu’à un maximum d’environ 1 000 mètres de profondeur), relativement chaude (entre 0° C et 1° C) et de salinité élevée (supérieure à 35 pour mille), dont les eaux longent initialement le talus eurasiatique et se retrouvent plus ou moins piégées dans des bassins successifs avant de ressortir, du moins en partie, vers la mer du Groenland et le bassin scandinave, en empruntant le sillon ou fosse de la Lena dont la profondeur peut dépasser 3 000 mètres, structure séparant la vaste cuvette océanique arctique du bassin scandinave qui s’étend entre le Svalbard et la Norvège d’un côté et le Groenland et l’Islande de l’autre ; (2) une couche profonde, moyennement salée mais légèrement plus froide, originaire de la mer de Norvège, dont les eaux sont piégées par la chaîne de Lomonossov qu’elles ne peuvent franchir qu’épisodiquement. De manière schématique s’observe ainsi une stratification de l’océan, une couche superficielle relativement peu salée du fait des apports environnants en eau douce mais dont la température tend à demeurer négative, recouvre une couche intermédiaire plus chaude et plus salée. Puis circule une couche d’eau profonde atteignant les fonds marins, légèrement moins salée mais plus froide.
- Circulation océanique en Arctique
- Grands traits de la circulation océanique arctique : eaux entrantes originaires de l’Atlantique (en rouge) et eaux polaires plus froides qui en ressortent (en bleu).
Source : Jack Cook, WHOI (Woods Hole Oceanographic Institute)
Ces mouvements d’eau génèrent des courants marins, tant en surface qu’en profondeur, certains étant descendants (downwelling), d’autres ascendants (upwelling), sachant que la circulation de masses d’eau obéit à quelques règles simples qui font que plus une eau est froide, plus elle est dense et plus elle aura tendance à plonger. De même que plus une eau est salée, plus elle sera dense elle aussi. Des eaux plus douces que l’eau ambiante auront par contre tendance à s’étaler en surface et seront susceptibles de se déplacer en étant poussées par les vents, ce qui pourra créer un appel d’eau à l’origine de remontées d’eaux profondes. La force de Coriolis, due à la rotation de la Terre, peut elle aussi intervenir en déviant leur trajectoire vers la droite (du fait que nous nous trouvons dans l’hémisphère Nord). La combinaison de ces multiples paramètres contribue ainsi aux déplacements des masses d’eau mais les courants marins pourront localement être perturbés et présenter de nombreuses branches et des tourbillons, fonction notamment des particularités du relief sous-marin. Les variations d’épaisseur de la glace de mer participent également à alimenter le moteur de cette circulation océanique arctique du fait que le sel expulsé par la glace en formation conduit à une hausse de la salinité des eaux de surface environnantes, dont l’augmentation de densité entraîne leur plongement vers les profondeurs, contribuant au courant froid et profond, tout en créant un appel en surface vis-à -vis des eaux atlantiques sous-jacentes. Ces dernières sont à l’origine d’un apport de chaleur important et régulent ainsi l’équilibre thermique de l’océan Arctique dont on conçoit qu’il puisse être modifié dans le contexte du changement climatique en cours.
Climatologie et glaces de mer :
- L’isotherme à 10° C au mois de juillet, définissant la région arctique d’un point de vue climatique
- Une autre définition de l’Arctique (incluant la mer de Béring), reposant sur des données climatiques et environnementales : la courbe isotherme des 10° C atteints au mois de juillet (tracé en rouge), qui au niveau des terres marque aussi la limite au-delà de laquelle ne peuvent plus pousser les arbres (ne subsiste que la toundra).
Source : Wikimedia Commons
Domaine public
L’océan Arctique est recouvert de glace de mer sur une superficie très importante, constituant la banquise [7] (ou pack) dont la formation est gouvernée par la présence d’une couche d’eau superficielle où la salinité, en particulier sur ses bordures, peut descendre au-dessous de 20 pour mille, en raison notamment du débit des grands fleuves environnants et de leurs apports conséquents en eau douce. Cette couche superficielle présente de surcroît une relative stabilité verticale dans la mesure où elle est séparée de la couche moyenne plus chaude sous-jacente par un halocline (niveau où la salinité et donc la densité croît rapidement avec la profondeur), s’opposant à tout mouvement important de descente au-delà d’une profondeur pouvant atteindre une centaine de mètres. Du fait de son extension, la banquise joue un rôle important sur le plan climatique, bien qu’elle n’exerce pas sur les masses d’air un pouvoir réfrigérant aussi élevé que celui de l’inlandsis antarctique. D’un point de vue bilan thermique, la déperdition de chaleur (à 90 % par la banquise elle-même sous forme d’émissions à grande longueur d’onde) est contrebalancée par un apport atmosphérique et surtout océanique, de sorte que si la banquise n’existait pas (ou si elle venait à disparaître entièrement), le refroidissement serait moindre, d’autant que le rayonnement provenant de l’océan serait d’une relativement faible influence en raison de l’ennuagement de l’atmosphère devenu permanent (la chaleur extraite à la surface de l’eau tend à être retenue sous le couvert nuageux et l’atmosphère à ce niveau ne se refroidit ainsi que plus lentement). De fait, la banquise constitue un élément déterminant vis-à -vis de l’équilibre climatique de la région bien que le froid hivernal ne soit pour autant excessif, comme en témoignent les phénomènes glaciaires qui somme toute demeurent limités : faible importance des inlandsis (hormis la calotte glaciaire recouvrant le Groenland, mais son origine est tout autre, s’agissant de glaces continentales), minceur de la banquise et icebergs relativement peu nombreux, hormis ceux en provenance du Groenland, abondants en baie de Baffin où ils sont issus de glaciers émissaires de la côte ouest et surtout nord-ouest de l’île [8]. D’autres glaciers interviennent dans le vêlage d’icebergs sur la côte est où ceux-ci drainent une part importante de l’inlandsis [9], la fonte de ce dernier provoquée par le réchauffement pouvant avoir une influence significative dans l’élévation du niveau des mers [10]. Il en résulte que l’Arctique constitue une zone particulièrement sensible face au changement planétaire, le climat de la région ayant en particulier tendance à se réchauffer deux fois plus rapidement comparé à celui du reste du globe.
- Fissures et enchevêtrement de blocs de glace
- Crédit photo : Patrick Kelley, U.S. Geological Survey
Domaine public
Il y a encore quelques décennies, la banquise permanente couvrait la plus grande partie d’une vaste calotte, légèrement excentrée vers l’Amérique, sur une superficie qui à la fin de l’été dépassait six millions de kilomètres carrés. Correspondant aux zones les plus froides, avec des moyennes de température qui restent inférieures à 0° C en été, la banquise ne reçoit que de faibles précipitations annuelles (vents secs d’origine continentale en hiver et air plus humide en été mais stabilisé à sa base par refroidissement [11], d’où une neige peu abondante soumise à des rafales en hiver qui n’ont cependant pas l’intensité des blizzards de l’Antarctique). Cette banquise qui ne fond que partiellement en été est ainsi constituée d’une glace ancienne, vieille de plusieurs années, épaisse de 2 à 3 mètres en été et de 3 à 4 mètres en hiver. La perte superficielle (essentiellement par fusion) étant bien supérieure aux apports atmosphériques neigeux, cette banquise permanente connaît un renouvellement lent, par regel en été des eaux de fonte infiltrées, par accrétion basale en hiver depuis l’eau de mer superficielle (glace de mer précipitant à partir des eaux de surface qui sont de salinité relativement faible). Elle est formée d’une glace solide, cependant affectée de fissures induites par les mouvements différentiels de la dérive de l’ensemble qui subit une rotation cyclonique dont la vitesse varie de 1 à 2 kilomètres par jour, due à la dérive des eaux portantes (dérive transpolaire), tout en étant sous la dépendance des vents. Rares à proximité du pôle, ces fractures sont surtout présentes sur les bordures de la banquise où elles sont à l’origine de fréquentes compressions et collisions de blocs de glace qui engendrent un relief chaotique fait de crêtes et de murailles entrecoupées de crevasses.
- Chasseurs de phoques au Groenland
- Crédit photo : curieuxvoyageurs
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Les marges littorales de l’océan connaissent en revanche un climat perturbé, caractérisé par d’abondantes précipitations en été, de fréquentes tempêtes et des écarts brutaux de température. De fait, les côtes montrent des aspects contrastés selon les saisons et sont bordées en hiver par une banquette de glace littorale. Plus au large, la banquise côtière, constituée d’un mince dallage de glace d’une épaisseur de 1 à 2 mètres, apparaît dès l’automne aux dépens d’une eau littorale de faible salinité (au-dessous de 25 pour mille). Elle s’étend depuis la banquette longeant la côte jusqu’à des secteurs où la profondeur est inférieure à une vingtaine de mètres, bloquant ainsi les fjords groenlandais, une partie des chenaux de l’archipel canadien, ainsi que la plateforme sibérienne (sur une largeur atteignant 500 kilomètres en mer de Laptev). A la différence de la banquise permanente, cette banquise côtière reste fixe car ancrée au niveau des rivages et des îles, de sorte que sa surface demeure remarquablement lisse (hormis le fait qu’elle puisse emprisonner çà et là des icebergs venus s’échouer, sur les côtes du Groenland en particulier). La marée lui transmet cependant une oscillation qui entraîne l’apparition de crevasses pouvant localement la séparer de la banquette littorale en créant des trous d’eau qui permettent aux peuplades indigènes (Inuits en particulier) de venir chasser le phoque ou le morse [12]. Elle disparaît en été avec le réchauffement des eaux côtières et la fonte des neiges et des glaces continentales.
- Sous-marin américain faisant surface au nord de l’Alaska
- Le sous-marin nucléaire d’attaque USS Hampton en 2014, lors d’une remontée au travers des glaces peu épaisses de la banquise.
Crédit photo : Chris Oxley / National Snow and Ice Data Center
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Entre banquise côtière et banquise permanente, les eaux sont couvertes par des glaces dérivantes, constituées en hiver de fragments anciens ayant résisté à la fonte, réamalgamés par de la glace nouvelle. En été, ce pack se fragmente en vastes champs de glaces flottantes et en floes, radeaux dont la longueur peut atteindre de 1 à 10 kilomètres et qui finissent généralement par disparaître entièrement ou presque par fusion ou dérive. Au large de l’Eurasie et de l’Alaska, cette banquise dérivante concerne davantage des régions de plateforme où les courants de marées sont importants. En plus des vents, ces derniers agissent sur les déplacements et la densité du pack dont l’extension varie d’une année sur l’autre, bien que se retrouvant en fin de saison cantonné à de très hautes latitudes. Moins étendu mais plus dense au large du Canada, il est entraîné loin vers le Sud par les courants de décharge dont le plus spectaculaire est probablement celui de l’est du Groenland (courant du Groenland oriental qui représente la branche sud de la dérive transpolaire et emprunte le détroit de Fram), dont les eaux froides charrient des floes et des icebergs jusqu’à la hauteur de l’Islande. Un autre courant rapide contourne la pointe du Groenland, remonte en direction de la baie de Baffin le long de la côte ouest du Groenland (courant du Groenland occidental) et en ressort par le biais du courant de l’île de Baffin puis du Labrador, en drainant des fragments de pack arctique ayant franchi l’archipel canadien, ainsi que des icebergs, jusqu’aux abords de Terre-Neuve.
- Crustacé amphipode Apherusa glacialis
- D’une taille de quelques millimètres, il survit au contact de la glace et migre vers le nord en profitant des courants, constituant parmi d’autres le krill dont se nourrissent poissons et baleines.
Crédit photo : Geir Johnsen, UNIS (The University Centre in Svalbard)
Sur les eaux estivales débarrassées de leurs glaces, les perturbations atmosphériques entraînent un brassage des eaux de surface qui s’accompagne d’un enrichissement en nutriments venant alimenter un abondant plancton presque exclusivement végétal (essentiellement composé de diatomées), dont la prolifération s’accroît au fur et à mesure de l’avancement de la saison et de la fonte de la banquise. Il constitue la base de la chaîne alimentaire marine arctique faite de mollusques, de crustacés (en particulier de krill), de poissons, puis d’oiseaux et de mammifères marins tels des phoques et des baleines (dont des baleines à fanons et autres cétacés), faunes se déplaçant vers le nord au fur et à mesure du retrait des glaces.
Réchauffement planétaire et évolution de la banquise :
- Comparaison de l’extension estivale minimale (en septembre) de la banquise entre 1982 et 2007
- On remarquera qu’un recul spectaculaire de la banquise estivale est intervenu dès 2007, alors qu’en 1982, celle-ci était beaucoup plus proche et même de superficie légèrement supérieure comparée à la moyenne de la période 1979-2000 (matérialisée par le tracé en rouge).
Source : Hugo Ahlenius, UNEP/GRID-Arendal
Jouant un rôle fondamental au niveau du système climatique terrestre en raison des quantités d’eau tout à fait considérables qui sont stockées dans leurs réserves de glace ( [13]), les régions polaires ont une incidence certaine sur le devenir du climat de notre planète et font ainsi l’objet d’une étroite surveillance en matière d’investigations scientifiques. Du fait de ses interactions avec l’océan et l’atmosphère, la banquise en particulier semble extrêmement sensible au réchauffement et son suivi dans le temps est en mesure d’aider à établir des prévisions des plus précises quant à ses perspectives d’évolution au cours des prochaines décennies. Les observations effectuées par satellites depuis la fin des années 1970 ont permis de mesurer les variations de l’étendue de cette dernière, ainsi que du volume des calottes glaciaires tel celui de l’inlandsis groenlandais. Il a notamment été démontré que la fonte de la banquise pouvait s’amplifier d’une année sur l’autre et que sa superficie ne cessait de diminuer en été. Avec une étendue minimale de l’ordre de 6,5 millions de kilomètres carrés durant les années 1970 à 2000, elle a atteint en 2012 un minimum record de 3,41 millions de kilomètres carrés. Ce recul spectaculaire de la banquise arctique, beaucoup plus rapide que ne le prévoyaient les simulations, y compris parmi les plus récentes, s’accompagne d’une réduction de son épaisseur moyenne qui aurait en parallèle diminué de moitié, passant d’environ 3 mètres à 1,5 mètre. De même que l’âge de la glace aurait diminué de façon notable, avec un recul marqué des glaces pérennes, bien loin d’être anodin [14].
- Les quatre extensions estivales les plus faibles de la banquise arctique (en 2007, 2011, 2012 et 2015) comparées à la moyenne des années 1981-2000 (courbe en gris)
- Source : Michon Scott, NSIDC-NOAA Climate.gov
Il convient d’insister sur la rapidité avec laquelle intervient le changement climatique en Arctique. D’après les données émanant notamment du Programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique (AMAP pour Arctic Monitoring and Assessment Programme [15]), au cours des dernières décennies, la moyenne des températures annuelles observées dans les régions arctiques aurait augmenté selon un rythme ayant atteint le double de celui affectant le reste de la planète, ce réchauffement se traduisant entre autres par une fonte généralisée des glaciers et de la glace de mer, ainsi que par un raccourcissement de la durée de la saison des neiges [16]. De surcroît, l’année 2015 apparaît à l’échelle de la Terre comme ayant été l’année la plus chaude jamais enregistrée (depuis le début des relevés de température en 1880), battant le précédent record de 2014 et confirmant que se produirait une accélération du réchauffement planétaire. Il fut en l’occurrence observé en 2015 des températures records de l’air en Arctique (comparées à celles mesurées depuis 1900), valeurs ayant en moyenne dépassé de plus de 1° C la moyenne des températures relevées durant la période 1981-2010. En parallèle, la banquise a atteint sa superficie maximale le 25 février 2015, soit deux semaines plus tôt que d’habitude (ayant ainsi commencé à fondre plus tôt également), tout en ayant montré l’extension hivernale la plus faible encore jamais observée (source : NOAA pour National Oceanic and Atmospheric Administration, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique).
- Banquise arctique estivale au 11 septembre 2015
- Couvrant seulement 4,41 millions de km2, la banquise a atteint à cette date sa superficie estivale minimale, en net recul par rapport à la moyenne de la période 1981-2010, matérialisée par le tracé en orange. D’après les données du radiomètre AMSR-2 embarqué sur le satellite GCOM-W1 de la JAXA (Japan Aerospace eXploration Agency).
Source : NASA - JAXA
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Le long déclin de la banquise s’inscrit bien évidemment dans cette évolution des températures à l’échelle planétaire, quand bien même le record de 2012, suivant en cela celui de 2007, ait pu être considéré comme résultant de phénomènes météorologiques particuliers, du moins partiellement [17]. Les mesures satellitaires, de plus en plus précises, attestent que la banquise fond à une vitesse élevée, malgré quelques sursauts tels ceux constatés en 2013 et 2014. Bien qu’elle fut en effet moins marquée durant ces deux années consécutives (comparée à 2012), cette fonte de la glace de mer qui va en s’accentuant demeure un phénomène majeur, le minimum estival de l’année 2015 confirmant qu’il s’agit pour le moins d’une tendance lourde. D’aucuns précisent (e.g. V. Masson-Delmotte) que l’on assiste effectivement à un recul de la banquise depuis une trentaine d’années mais avec une accélération notable durant la dernière décennie au vu, notamment, des minimums de 2007 et de 2012, auxquels vient s’ajouter celui de 2015 (les dix années caractérisées par les superficies de banquise estivale les plus faibles figurent parmi les onze dernières années écoulées).
- Extension de la banquise estivale (moyenne sur le mois de septembre) entre 1979 et 2015
- On notera la tendance générale du recul de la banquise estivale et les minimums records de 2007 et de 2012.
Source : National Snow and Ice Data Center
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De fait, la superficie de la banquise devient particulièrement fluctuante et elle a tendance à se réduire de plus en plus en été, au point que les résultats les plus pessimistes des modèles de prévision (issus notamment du dernier rapport du GIEC) font état d’une possible complète disparition des glaces estivales dans les décennies à venir. Dans la mesure où la couche de glace s’est progressivement amincie, elle se retrouve fragilisée et a tendance à se fragmenter en portions qui sont d’autant plus facilement rongées par les eaux de surface dont les températures augmentent du fait de leur albédo moins prononcé. Plus sombres, ces dernières absorbent en effet davantage d’énergie solaire et entraînent ainsi d’autant plus facilement la fonte des glaces environnantes. On constate en fait une perte accélérée de banquise pluriannuelle qui subit une diminution bien plus rapide de superficie comparée à la banquise saisonnière. Cet affaiblissement de la glace pérenne induit une vulnérabilité qui fait que la banquise résiste de moins en moins à la saison de fonte, phénomène accentué par la décroissance de son albédo. Le retrait des glaces est devenu tel qu’un point de non-retour semble désormais atteint. Plus la banquise se réduit et plus l’océan Arctique se réchauffe rapidement et ainsi de suite (boucle de rétroaction positive), étant en parallèle sous le contrôle d’autres mécanismes participant à cette amplification polaire, notamment un transfert de chaleur (atmosphérique et océanique) en provenance des zones tropicales, ayant tendance à s’intensifier sous l’effet du réchauffement global [18].
- Glaces de mer et eaux de fonte
- En fondant, la banquise se couvre de mares de fonte ou ménage des portions d’océan libres de glace qui absorbent davantage le rayonnement solaire (l’albédo global de la région diminue) et se réchauffent ainsi d’autant plus en amplifiant la fusion (rétroaction positive).
Crédit photo : Patrick Kelley, U.S. Geological Survey
Domaine public
Une disparition de la banquise en fin d’été, qualifiée de situation d’Arctique libre (sous-entendu que l’océan tend à devenir libre de glace), pourrait même intervenir plus tôt qu’initialement supposé. Les toutes dernières prévisions indiquent un retrait quasi total de la banquise estivale à l’horizon 2020 ou plus rapidement encore (ne subsisterait un résiduel de glace qu’au nord de l’île Ellesmere et du Groenland), en ayant de surcroît un impact sur l’extension des glaces en hiver. Il est en effet plausible que la banquise hivernale, rendue instable du fait d’une réduction devenue trop importante en été, disparaisse à son tour, conduisant certains auteurs à envisager qu’elle pourrait avoir disparu entièrement et toute l’année d’ici 2030. L’Arctique pourrait en fait être entré dans une phase d’effondrement dénommée RILE (pour Rapid Ice Loss Event), au regard de la perte de glace accélérée que subit la banquise, a fortiori de ses glaces pérennes, s’accompagnant d’une augmentation du flux de chaleur océanique et de modifications atmosphériques de nébulosité. Il semble évident qu’il faille faire un rapprochement entre cette disparition "programmée" de la banquise et l’impact sur le système climatique du forçage d’origine anthropique dû à nos émissions de gaz à effet de serre, induisant un réchauffement de l’océan mondial dans son ensemble et de l’océan arctique en particulier. D’autres changements, également à l’Å“uvre en Arctique, résultent de ce forçage radiatif, en l’occurrence une dégradation allant elle aussi s’accélérant du pergélisol dont les conséquences sont entre autres un rejet dans l’atmosphère de dioxyde de carbone et de méthane susceptible d’une rétroaction positive vis-à -vis du réchauffement planétaire, mais aussi une modification des apports à l’océan de nutriments en provenance d’un lessivage allant s’intensifiant des sols par les eaux de ruissellement, apports supplémentaires dont on suspecte qu’ils seraient en mesure d’influencer les chaînes trophiques marines arctiques [19].
Perspectives économiques et conséquences environnementales :
- Ressources potentielles en hydrocarbures de l’Arctique
- Zones de gisements potentiels en pétrole et gaz naturel non encore explorées (en rose) et secteurs reconnus, voire en cours d’exploitation (cerclés de rouge). L’essentiel des réserves supposées serait situé au niveau des plateaux continentaux et non dans des zones de grande profondeur. Sont également indiquées les routes maritimes du Nord-Ouest et du Nord-Est (dite aussi du Nord).
Source : Site du Sénat
De telles présomptions pour le moins inquiétantes concernant l’impact du changement climatique en Arctique, en premier lieu l’évolution de la dynamique de la banquise et son retrait de plus en plus marqué en été, ouvrent néanmoins des perspectives qui sembleraient être une aubaine quant au développement du transport maritime ou de l’exploitation des ressources naturelles que sont les ressources halieutiques, minérales et énergétiques et notamment les ressources pétrolières que les fonds marins pourraient recéler en abondance, d’où les convoitises que l’on connait de la part de bon nombre de pays, qu’ils soient riverains ou non. Il a en effet été suggéré que l’océan Arctique et en particulier ses zones littorales de plateforme seraient susceptibles de renfermer des réserves assez considérables en hydrocarbures, sous forme de pétrole (notamment au large de l’Alaska mais aussi en Baie de Baffin) et surtout de gaz naturel (essentiellement au large de la Russie), dont on estime qu’elles pourraient respectivement représenter de l’ordre de 13 % et 30 % des réserves restant à découvrir à l’échelle de la planète, techniquement récupérables de façon conventionnelle, c’est-à -dire au moyen de technologies actuelles [20].
- Routes maritimes : trajets simulés à l’horizon 2040
- Projection pour les années 2040-2059 : les tracés en rouge correspondant aux trajets les plus courts que pourront emprunter les brise-glaces courants, ceux en bleu indiquant les trajets les plus rapides pour des bateaux non équipés en vue d’affronter les glaces.
Source : Laurence Smith & Scott Stephenson, PNAS (en accès libre)
La banquise n’étant dès lors plus une barrière vis-à -vis du trafic maritime [21], d’activités de prospection et d’exploitation minière et pétrolière ou encore de celles liées à la pêche, la fonte des glaces permet désormais un transit saisonnier le long des frontières nord du Canada et de l’Alaska, au travers du célèbre passage du Nord-Ouest, trafic qui certes existait déjà et durant une majeure partie de l’année le long de la côte soviétique, en empruntant le passage du Nord-Est, de puissants brise-glaces (notamment à propulsion nucléaire) étant en mesure de frayer un chemin aux autres navires pour faciliter le transport de marchandises, y compris durant une partie de l’hiver. Le cÅ“ur même de l’océan Arctique et plus précisément les abords du pôle Nord, jadis recouverts en permanence par une épaisseur de banquise pluriannuelle de plusieurs mètres, sont aujourd’hui susceptibles d’être dépourvus de glace en été [22], au point que le pôle Nord lui-même ferait dorénavant l’objet de revendications territoriales, en l’occurrence de la part de la Norvège, du Canada ou encore de la Russie qui, déjà en 2007, avait entrepris une opération d’intimidation par l’intermédiaire d’une expédition à l’aide de submersibles ayant permis d’implanter son drapeau à la verticale du pôle par plus de 4 000 mètres de profondeur.
L’écosystème arctique est manifestement l’un des plus fragiles de la planète et il est d’autant plus vulnérable que la fonte des glaces s’accélère et qu’immanquablement elle entraîne une hausse des activités industrielles et du trafic maritime, en même temps qu’elle incite à la surpêche. Les pollutions qui en découlent sont une menace envers les organismes et le milieu marin et sont principalement liées à l’exploitation des ressources énergétiques (pétrole et gaz), à la navigation et à la pêche industrielle intensive. L’augmentation de la fréquentation touristique devient elle aussi une préoccupation sérieuse dans la mesure où l’on assiste depuis la fin de la guerre froide à une croissance en pleine expansion du tourisme dans bon nombre de régions arctiques, devenues plus accessibles du fait du retrait de la banquise, fréquentation accrue qui s’accompagne cependant en retour de dégradations environnementales inévitables envers l’eau, la terre, la faune et la flore, de rejets polluants supplémentaires et de difficultés d’un point de vue gestion et recyclage des déchets qu’elle génère. Les eaux côtières sont loin d’être épargnées, sachant de surcroît que chaque année, environ 10 millions de mètres cubes d’eaux usées non traitées sont déversées dans l’océan, plus ou moins chargées en polluants dont la toxicité est avérée (hydrocarbures, phénol, métaux lourds, etc.), a fortiori lorsqu’elles proviennent d’entreprises industrielles implantées à proximité du littoral, sans même parler des rejets des grands fleuves qui traversent au préalable d’importantes régions industrialisées, dont des zones de stockage de déchets nucléaires, telles qu’en Russie notamment.
- Ours polaire famélique en quête de nourriture sur un reliquat de banquise au Svalbard
- Crédit photo : Kerstin Langenberger, via Facebook
(Voir aussi l’article de "20 Minutes")
La banquise en elle-même abrite de nombreux organismes présents à la fois au-dessus et au-dessous de sa surface [23] et constitue en particulier un habitat solide pour un certain nombre de mammifères marins ou assimilés tels les phoques, les morses ou les ours polaires dont on sait qu’ils sont très menacés, ces derniers en particulier en raison du retrait des glaces qui leur sont indispensables afin qu’ils puissent se nourrir [24]. Ils ne sont pas non plus épargnés par les nombreux polluants qui affectent l’Arctique, par voie atmosphérique ou océanique. La faune subaquatique est tout autant exposée, y compris aux déchets plastiques qui sont désormais ubiquistes [25], et elle est à la source de la contamination des espèces situées au sommet de la chaîne alimentaire, tout spécialement les mammifères marins, dont l’intoxication au mercure notamment semble particulièrement préoccupante [26].
L’océan Arctique joue également un rôle important en tant que puits de carbone, d’une part du fait de la pompe biologique exercée par le phytoplancton, mais également dans sa capacité à dissoudre du gaz carbonique atmosphérique (ce qui en contrepartie entraîne son acidification [27]). Il convient cependant de distinguer plusieurs processus, intervenant à des
- Stratification des eaux de l’océan Arctique
- En se solidifiant, les glaces de la banquise expulsent du sel qui rend les eaux plus denses, celles-ci ayant tendance à plonger en formant un halocline (couche froide et salée) qui surmonte les eaux plus chaudes en provenance de l’Atlantique.
Source : Jayne Doucette, WHOI (Woods Hole Oceanographic Institute)
échelles variées, concernant les relations liant les variations d’extension de la banquise et les capacités d’absorption de l’océan en gaz carbonique. Si dans un premier temps la fonte des glaces a effectivement tendance à favoriser le puits de carbone en facilitant les échanges du fait de l’augmentation de l’interface air-mer, le changement climatique conduit aussi à un océan davantage stratifié étant donné les apports en eau douce liés à la fonte de la banquise et au débit des grands fleuves. Cette stratification accrue intervient en limitant les échanges et donc la capacité de l’océan à capturer davantage de CO2 atmosphérique [28]. La séquestration océanique de carbone est aussi impactée par le réchauffement de l’océan qui ainsi tendrait à devenir de moins en moins performant dans la rétention de dioxyde de carbone en solution, de même que pourront intervenir des modifications de la productivité du phytoplancton. En fondant, la banquise produit de l’eau douce qui dilue l’eau salée environnante, devenant moins dense et donc moins apte à plonger vers les profondeurs (phénomène étant précisément à l’origine de cette stratification de l’océan par suite de différences de salinité et donc de densité, comme de température) et à alimenter la circulation thermohaline qui pourra ainsi être modifiée, du moins ralentie, en influençant la séquestration de carbone jusque dans les niveaux les plus profonds de l’océan. Ainsi l’océan Arctique qui, dans une certaine mesure, était censé pouvoir infléchir le changement planétaire en piégeant une part de nos émissions de gaz à effet de serre, serait potentiellement de moins en moins efficace (au même titre que le reste de l’océan mondial) du fait de la disparition annoncée de la banquise, conduisant à des perturbations de sa stratification et à son réchauffement.
- Impact du retrait des glaces de la banquise sur le climat des zones tempérées
- Un affaiblissement du tourbillon circumpolaire arctique et un ralentissement du jet-stream sont susceptibles d’induire des descentes d’air froid et d’accentuer les précipitations.
Source : GN-AFP
Mais l’impact du réchauffement planétaire en Arctique intervient aussi vis-à -vis du système climatique terrestre en général et peut engendrer des implications sérieuses au niveau de l’ensemble de l’hémisphère Nord (voire au-delà s’agissant de la circulation thermohaline), liées notamment à des perturbations de la circulation atmosphérique sous l’effet du réchauffement plus intense de la région. Cette amplification arctique due à l’intensification de la fonte de la banquise et de celle de la neige au printemps est en l’occurrence susceptible d’induire des hivers particulièrement froids (tel l’hiver 2009/2010) ou inversement des vagues de chaleur et des sécheresses (telles que celles qui se sont produites en Europe en 2010 et en Amérique du Nord en 2012). Les conséquences météorologiques ne sont donc pas un réchauffement uniforme, la réponse étant complexe et non linéaire, se traduisant davantage par une accentuation de la fréquence tantôt des canicules, tantôt des vagues de froid, comme des pluies torrentielles et des inondations [29]. Cette recrudescence d’événements extrêmes, sans oublier les risques de submersion des zones côtières exposées à l’élévation du niveau marin, fait que l’on peut légitimement se préoccuper de l’évolution potentiellement catastrophique du système climatique et de ses conséquences pour le moins néfastes envers les sociétés et les écosystèmes, ce qui devrait en toute logique nous inciter à tenter de contrer le forçage radiatif que nous aurions déclenché en parallèle de l’ère industrielle et qui s’accentuerait fortement aujourd’hui, malgré les intentions de nos gouvernements.
- Plateforme pétrolière russe en mer de Barents
- La plateforme Prirazlomnaya ancrée en mer de Petchora (sud-est de la mer de Barents), zone recouverte par la banquise de novembre à juin. Le pétrole est transporté par des tankers ou transféré sur d’autres navires, d’où un risque accru de marée noire.
Crédit photo : Krichevsky, Wikimedia Commons
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Il semble dès lors extrêmement singulier de constater qu’il existe une évidente contradiction entre l’intérêt stratégique que peut susciter l’Arctique sur le plan de ses ressources potentielles en hydrocarbures et les récentes décisions de la gouvernance internationale en faveur de la lutte contre l’effet de serre (COP 21), par le biais d’un abandon progressif des combustibles fossiles au profit de sources d’énergie moins polluantes et autant que possible renouvelables. Ainsi, ne devrait-on établir, comme certains le préconisent, un moratoire afin de sauvegarder l’Arctique, du moins ce qu’il en reste, à l’instar du traité de l’Antarctique, ratifié en 1991 et s’opposant à toute exploitation de ses ressources minérales et énergétiques (certes pour une durée de cinquante ans mais c’est un premier pas), moratoire qui serait destiné ici à contrer autant que faire se peut l’exploitation outrancière des ressources de l’Arctique et tenter d’en limiter les impacts, en d’autres termes, épargner ce qui pourrait l’être encore tant sur le plan environnemental que sur celui des ressources et des droits des populations autochtones [30] ?
- Frontières reconnues et revendiquées en Arctique
- Source : F. Lassere, Université de Laval, Québec
Le CERISCOPE, CERI/Sciences Po
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Signe encourageant : en 2012, plus de deux mille scientifiques de soixante-sept pays différents avaient réclamé l’instauration d’un moratoire de la pêche en Arctique, destiné à interdire la pêche industrielle au-delà des eaux territoriales des pays limitrophes et à lutter ainsi contre la pêche non réglementée de haute mer au beau milieu de l’Arctique, le temps de mener à bien des investigations afin d’évaluer plus précisément la ressource et mesurer la vulnérabilité des habitats [31]. Ne faudrait-il pas cependant qu’une telle décision devienne définitive et surtout qu’elle soit appliquée à l’ensemble des richesses de l’Arctique et pas seulement à la faune halieutique si l’on veut limiter les risques de pollution et préserver au mieux les populations, la biodiversité et les écosystèmes, tout en participant à stabiliser le réchauffement climatique planétaire ? Dans le contexte mondial actuel de récession économique généralisée, on pourrait être tenté de considérer l’effondrement du cours du baril comme ayant au moins pour avantage d’inciter les compagnies pétrolières, qui en ces circonstances peineraient soi-disant à investir, à abandonner les campagnes d’exploration de nouveaux gisements pétrolifères potentiels en Arctique, quand bien même l’on puisse imaginer que ces campagnes de prospection, certes coûteuses en raison notamment de conditions météorologiques difficiles, ne soient pour autant, hélas, que probablement remises à plus tard. D’aucuns considèrent cependant qu’un effet pervers de cette chute des cours du pétrole pourrait consister en un encouragement à la consommation, susceptible d’induire un surcroît de pollution que l’on vise au contraire à essayer d’endiguer tant il paraît urgent de devoir atténuer l’effet de serre si nous voulons éviter l’emballement du système climatique, dont les réactions pourraient bien être imprévisibles dans un avenir proche si nous ne réussissons à réduire suffisamment nos émissions.
Le changement planétaire engendre toutefois une lueur d’espoir en ce sens qu’il offre aux grandes puissances de ce monde l’occasion de "briser la glace" en vue d’établir des accords en faveur de la protection des régions arctiques. Déjà des scientifiques de toutes nationalités travaillent en synergie et depuis plusieurs décennies dans l’optique de sauvegarder au mieux ces contrées du Grand Nord et les eaux de l’océan glacial dont intrinsèquement elles dépendent et qui apparaissent d’une importance déterminante compte tenu des enjeux primordiaux que sont la préservation des espèces et des écosystèmes et le maintien du climat de notre planète.